Cela fait quelque temps que je n’avais pas rédigé d’articles. Pour mon retour, après une année difficile et en même temps riche en évènements, j’avais envie de rebondir sur l’enquête réalisée par « Livre Hebdo » dans le numéro de novembre 2022 :
« Le monde du livre face aux défis de la diversité ».
Très majoritairement composés de professionnels blancs qui dressent souvent des barrières plus ou moins conscientes à l’engagement des personnes racisées, les métiers du livre peinent à refléter la société française d’aujourd’hui. Un handicap à lever pour élargir leurs publics.
Définition de racisé (Source Livre Hebdo, nov. 2022) :
Formulé par la sociologue et militante féministe et antiraciste Colette Guillaumin en 1972 et entré dans Le Robert en 2019, le terme racisé désigne une « personne touchée par le racisme, la discrimination ».
En tant que femme noire, auteure, créatrice de sa maison d’édition et ancienne salariée d’une grande maison d’édition, je me devais de donner mon ressenti sur ce sujet d’actualité. J’ai trouvé cet article très intéressant, mais j’éprouve le besoin de le compléter par une pointe d’espoir. J’ajouterai :
Et si, pour faire face aux obstacles que nous rencontrons, nous tentions de prendre un autre chemin ?
Et si, nous évitions d’être défaitiste devant des constats pessimistes ?
Quelles ressources pouvons-nous en tirer pour en faire une force ?
À la lecture de cet article, je me suis sentie comprise sur les difficultés que j’ai pu rencontrer dans le milieu de l’édition. Mon histoire personnelle a donc fait écho.
Des petites remarques « racisées » dans notre quotidien
J’ai travaillé pendant plus de dix ans chez un grand éditeur français au département logistique et marketing direct. J’ai eu la chance de collaborer avec des personnes très ouvertes et formidables, mais j’ai eu malheureusement le droit à des réflexions sur ma couleur de peau. Je ne vous exposerai que deux anecdotes parmi d’autres.
À l’époque, je travaillais avec une personne d’un autre service, nous étions toutes les deux sur des sites différents. Nous ne nous étions jamais rencontrés. Au bout de quatre ans de collaboration, nous nous croisons enfin et elle me dit ouvertement : « Ah, c’est drôle, je n’aurai jamais imaginé au téléphone que tu étais noire, tu n’as pas d’accent ! »
La deuxième anecdote s’est déroulée à la date de la « sainte-Catherine ». Pour l’occasion, mes adorables collègues m’avaient préparé un panier avec plein de cadeaux à l’intérieur. L’une de mes collègues me demande de porter ce panier sur ma tête, comme les femmes africaines le font… »
Je n’ai pas réagi face à ces réflexions, pourquoi ? Parce que, d’une part, je trouvais ces réflexions stupides et qu’elles ne méritaient pas plus d’intérêt que ça et dans un second temps parce que lorsque l’on réagit on passe très souvent pour « celle qui pourrit l’ambiance », car ce genre de cas peut se répéter dans le cercle privé, mais sous le ton de l’humour pour faire passer la pilule.
Un plafond de verre difficile à briser…
En termes d’évolution de carrière professionnelle, les choses étaient aussi complexes. À l’époque chez cet éditeur, j’avais démontré rapidement que j’étais capable de travailler sur des dossiers à dimension plus stratégique. Au lieu de me proposer une promotion, on m’a demandé de faire le même travail, en gérant en complément d’autres dossiers. J’ai vite compris que si je voulais progresser, il fallait que je change de poste.
J’ai donc postulé un poste de responsable au sein d’une autre unité. La personne était intéressée par mon profil, elle souhaitait me recruter d’ailleurs, mais celle-ci à modifier l’intitulé du poste après nos entretiens, il ne s’agissait plus d’un poste de responsable, mais de chargée… j’ai donc refusé la proposition.
J’ai postulé un autre poste dans le groupe pour des fonctions de « directrice », mais encore une fois, je n’ai pas obtenu le poste.
J’ai décidé de quitter l’entreprise pour progresser et devenir responsable marketing.
J’ai trouvé un poste, mais il est clair que mon traitement n’était pas le même que mes collègues, mais j’ai fait le choix de l’accepter, par dépit, considérant que c’était déjà une chance pour moi d’accéder à ce type de poste.
Une continuité dans ma vie d’auteure
Cette difficulté est aussi présente dans ma vie d’auteur. Dans mon premier roman, mon personnage principal Stella a un quart de sang noir, une mère métisse, un père blanc et une grand-mère noire. J’avais envie que la diversité soit mise à l’honneur.
Mon lectorat a adoré découvrir cet aspect double culture, mais une réflexion est venue me bousculer. Une lectrice m’a demandé : « Comment j’arrivais à faire des personnages blancs en étant noire ? ».
Je n’ai bien entendu pas répondu, car je considérai partir de trop loin pour arriver à un niveau d’explication abordable pour cette personne.
Savoir se prendre en main et faire de la diversité une force.
Si l’article dresse le bilan du manque de diversité dans le milieu du livre, il n’indique pas de quelle manière ce constat peut devenir une force et conduire au dépassement de soi.
Si je n’avais pas rencontré ces difficultés, je n’aurais pas fait le choix de créer ma maison d’édition et de commencer à éditer mon premier roman.
En toute transparence, je me suis posée la question d’envoyer mon ouvrage en maison d’édition, mais comme le précise Mahir Guven directeur du label de « La Granade » chez Lattès : « Les éditeurs se ressemblent, ils ont lu les mêmes livres, ont le même bagage culturel, les mêmes codes » (Source : Livres Hebdo, nov. 2022). J’avais donc cette crainte d’être jugé à tort. D’ailleurs, pour moi, éditer dans un premier temps mon premier roman était la seule façon de me démarquer et de prouver que je pouvais avoir un lectorat conséquent.
En éditant mon premier roman, je menais en réalisant cet acte plusieurs combats :
Mon premier était de faire un ouvrage qui me ressemble et qui parle à de nombreux lecteurs ou blancs et/ou noirs se reconnaitront.
Mon deuxième était un besoin de démontrer que mon savoir-faire me permettrait d’atteindre les objectifs de lancement pour mon premier roman d’une grande maison d’édition (pour un auteur inconnu et un premier roman).
Mon troisième en dépassant mes objectifs de ventes était de prouver que j’étais largement en mesure d’arborer un poste stratégique et d’obtenir des résultats par un travail acharné et une régularité. J’ai écrit mon premier roman en travaillant en occupant un poste de responsable marketing. J’ai écrit tous les soirs pendant une longue année. Je ne suis pas une exception, c’est la vie de beaucoup d’écrivains d’écrire très tôt le matin ou le soir, pour combiner vie de famille et vie professionnelle.
Aujourd’hui, mon premier roman a été vendu à plus de trois mille exemplaires en France et à l’étranger. C’est parce que l’on m’a mis des bâtons dans les roues que j’ai trouvé la force et la volonté de me dépasser et de prouver qu’il existe d’autres chemins que les voies traditionnelles pour s’exprimer dans le monde de l’édition.
Je pense sincèrement que chacun peut avancer personnellement à sa manière pour contribuer à un mouvement collectif en faveur d’une évolution des mentalités en faisant en sorte que tout le monde y trouve sa place.
Aussi, assez symboliquement, en signe d’espoir, la version numérique de mon roman « L’élixir du bonheur » est nommée « en pépite du mois » à la page 160 de ce numéro de novembre 2022 de Livres Hebdo.
Alors, je n’ai qu’un seul mot d’ordre « Osez ! ».
Estelle.
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Merci encore pour vos messages et témoignages.
À très vite, j’espère.
Mon roman « L’élixir du bonheur » est disponible :
Déjà plus de 3500 exemplaires vendus !
- Sur mon site auteur : www.estellelequette.com, sur Amazon, à la Fnac et sur commande en librairie.
- En version numérique : sur Amazon, sur KOBO Rakuten (Fnac), sur Librinova, et dans plus de 200 librairies numériques.
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